Véritable pilier économique dans le Gard, le bâtiment doit faire face à nombre de défis de taille.
« Tu la transpires, la fédération », ce qu’un adhérent glissait au secrétaire général de la Fédération du bâtiment du Gard, Olivier Polge, lors d’une réunion. A 54 ans, celui qui entre en tant que juriste en 1997, ne se doute pas un seul instant qu’il écrira plus de 20 ans de son livre au sein de cette famille. La sœur est institutrice, la maman enseignante, le papa n’est autre que Christian Polge, fondateur de la maison d’enfants Samuel Vincent. « J’y travaillais quand j’étais étudiant, en tant que veilleur de nuit », se souvient-il avec nostalgie.
C’est de ce cocon familial qu’il tient sa fibre sociale, cocktail d’empathie et de dévotion. Avec son équipe de six salariés (parmi eux des juristes et une responsable de développement commercial), Olivier Polge remet le « bonhomme » au cœur de la relation. Il s’imprègne des problématiques de ces maçons, charpentiers, carreleurs, plombiers, des histoires qui pourraient être les siennes. Plus que d’apporter un accompagnement juridique, social et RH « carré », l’équipe infuse de l’humanité et de la bienveillance. « J’attache toujours autant d’importance à la forme qu’au fond, il faut connaître nos adhérents pour adapter nos éléments de langage et explications », poursuit le secrétaire général. Détail qui a son importance, lorsqu’un des adhérents passe au tribunal, il prend soin de le noter dans son agenda afin de prendre le pouls.
L’esprit de solidarité et de transmission forme l’ADN du Bâtiment, à l’image d’une équipe de rugby dont « la réussite repose sur la somme des compétences ». Ce qui explique le partenariat avec le Rugby club nîmois (notre article ici) qui s’invite au siège de la fédé dans le cadre d’afterwork. « Le bâtiment représente un ascenseur social comme il en existe rarement dans le secteur professionnel, pointe-t-il. Même en cas d’échec scolaire, on peut réussir si on bosse bien avec ses mains ». Qu’en est-il alors des révolutions technologiques, à l’instar du ravalement de façade par drone, ou de l’impression de maison à l’aide imprimante 3D ? « Il faudra toujours un salarié pour programmer et alimenter la machine. L’automatisation est là pour alléger certaines tâches et réduire le risque, elle ne remplacera jamais le geste », rétorque notre hôte qui accompagne toutefois ses adhérents sur le volet formation.
70% du chiffre d’affaires du bâtiment dans le Gard, réalisé par les adhérents
« Riche dans son cœur, il aide avec discrétion et humilité. On retrouve un peu la fédération », Olivier Polge rend hommage à Emiliano Marcos (notre article ici), fondateur de la société de collecte de déchets et de propreté urbaine Ocean. Un partenariat est par ailleurs à l’étude entre les deux hommes, au service des artisans. Olivier Polge s’engage aux côtés des 52 membres du Conseil d’administration qui viennent d’élire leur nouveau président, Pierre Martin (dirigeant Sogea sud bâtiment), pour deux mandats de trois ans. « Les élus ne sont pas rémunérés, ils nous offrent deux heures de leur temps, tient-il à souligner. Quant aux adhérents, ils sont concurrents mais deviennent confrères ici, face à des problématiques communes ». Le budget de 600.000 euros se nourrit uniquement des cotisations des adhérents (180 euros annuels par salarié, 30 euros pour un artisan seul). Aucune subvention publique pour garantir l’indépendance et la légitimité du syndicat d’employeurs.
De par son impact sur le territoire, la fédé Gard revêt un poids politique de taille. Les 1000 adhérents, dont 90% d’artisans, « réalisent 70% du chiffre d’affaires de la profession dans le Gard, nous précise-t-il. 7 salariés sur 10 du BTP dans le département sont employés par les adhérents de la Fédé Gard ». Cette force de représentation, Olivier Polge la fait valoir auprès des parlementaires, à l’instar des discussions avec le sénateur LR Laurent Burgoa. Ce dernier n’a pas hésité à soumettre à son groupe parlementaire les revendications de la fédé Gard dans le cadre d’amendements au Projet de loi de finances 2024, portant sur la construction de logements neufs. « C’est une forme de ‘lobbying’, d’action de persuasion pour inciter des mesures en faveur de nos artisans », argumente Olivier Polge.
« Et là il me dit : ‘Je divorce’ »
L’équipe de la fédération cultive une proximité réconfortante. Anecdote cocasse quoique touchante, un adhérent appellera Olivier Polge paniqué, l’enjoignant à venir rapidement sur le chantier. « J’annule tous mes rendez-vous. Je pensais qu’un homme était mort, tout le monde avait les yeux rouges, conte-t-il. Je me retrouve seul face à lui, et là il me dit, ‘je divorce, est-ce que tu peux m’aider pour l’avocat ?’ ». Celui qui valide sa maitrise de droit mais abandonne le projet de devenir huissier de justice, ne regrette pas un seul jour son choix de carrière. Ici, il fait un métier qui a du sens, « la plus belle des choses ». Et comme la pomme ne tombe jamais loin de l’arbre, la fille est assistance sociale, le fils kinésithérapeute.
« Si l’on avait qu’un phénomène isolé, on pourrait rebondir »
La sympathie de ses adhérents, Olivier Polge en a massivement besoin au vu des chantiers qui l’attendent. A commencer par la construction de logements neufs (individuels et collectifs) en chute libre, alors même qu’elle représente « 45% du chiffre d’affaires dans le bâtiment », le reste étant notamment de l’entretien et de la rénovation. « Sur les 12 derniers mois, les permis de construire ont diminué de 35% dans le Gard », des chantiers sacrifiés sur l’autel de la réglementation urbanistique ou environnementale. Ajoutez à cela, le coût des matériaux qui a explosé, « les normes de construction éco-responsable qui renchérissent le coût de la construction alors que le pouvoir d’achat diminue », abonde le secrétaire général.
Clou du cercueil, le taux d’intérêt qui paralyse les emprunts, passant « de 1 à 4,5 % » pour la construction, alors que les échéances de remboursement se réduisent et voient les mensualités s’alourdirent. Et de poursuivre : « Si l’on avait un phénomène isolé, on pourrait rebondir, mais là c’est une accumulation de facteurs… ». Rappelons au passage que le PGE, Prêt garanti par l’Etat, n’est pas gratuit…
Pour déclencher la production d’une nouvelle salve de logements neufs, la Caisse des dépôts et consignations a par le passé acheté aux bailleurs sociaux et autres promoteurs, leur stock invendu de logements neufs. « Les bailleurs ont un prêt à 80 ans, indexé sur le taux du livret A. Ils font face à un coût du crédit important qui impacte leur capacité à produire du neuf », analyse Olivier Polge. Selon ce dernier, le Prêt à taux zéro (PTZ) doit jouer sa carte pour faciliter l’accession à la propriété. Seulement, le PTZ s’applique uniquement dans les régions de France considérées en tension, où l’offre de logement est plus restreinte. « Or, il n’y a pas que les métropoles et les gros centres-bourgs, aujourd’hui les salariés vivent également dans les villages autour », rétorque Olivier Polge qui réfute la pertinence du découpage.
Il poursuit : « Pendant le Covid, le Président nous disait que le bâtiment avait sauvé la France, l’un des seuls secteurs à générer de la TVA. J’ai l’impression qu’il nous a un peu oubliés depuis, à la faveur de l’industrie et du tertiaire… ». Le Gard, 6e département le plus pauvre France, 2d le plus industrialisé d’Occitanie, il convient aux collectivités d’impulser une véritable politique d’attractivité en direction des potentiels investisseurs. « Le Gard a ses atouts, seulement, il va falloir loger les travailleurs, on ne peut pas faire abstraction du logement. Il y a une vraie tension, la bulle va nous exploser à la figure », prophétise Olivier Polge qui craint de voir le Gard passer « à côté de son développement industriel ».
La commande publique, qui longtemps a fait figure de soutien, via la construction d’un rond-point ou d’un bâtiment, n’a plus les finances aussi confortables. « Les collectivités font face à une baisse de dotations, une hausse du traitement des fonctionnaires, et voient leur capacité d’investissement réduite », juge-t-il. Lors de la venue du sous-préfet du Gard à Alès, Olivier Polge lui communiquait les pertes d’emplois à l’échelle du bassin. A l’inverse d’une grosse PME dont un plan social aurait rameuté la presse et les décisionnaires, la localisation diffuse de ces petits artisans leur confère moins de visibilité en cas de difficulté. « Ils sont pourtant 30, chaque mois, à perdre leur emploi sur le territoire alésien », alerte le secrétaire général.
Linda Mansouri
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