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Jawad Bakloul, dans l’arène comme en caserne

Sa passion pour le taureau le conduit dans l’arène, son engagement pour l’humain chez les sapeurs-pompiers.

Les cicatrices qui jonchent son corps en disent long sur les sacrifices. Avant d’entrer dans l’arène, Jawad Bakloul sent cette « montée en pression ». Imperturbable, il se met dans une bulle. « J’ai besoin de toucher le taureau, d’être en harmonie avec lui », à 29 ans, le raseteur ne compte plus ses performances.

Galvanisé par la foule, il entend bien retirer les attributs du taureau jusqu’au dernier. Un duel s’engage, une alchimie entre la bête et l’homme. Sur l’air de Carmen, les raseteurs défilent, les gladiateurs des temps modernes.

C’était pourtant loin d’être gagné, Jawad Bakloul a longtemps caché ses ‘sorties’ à ses parents. Sa maman originaire du Maroc l’imaginait à des années-lumière de la tauromachie, plutôt sur un stade de foot. Elle tombe un jour sur un crochet de raseteur dans son sac. C’est la crise. « Puis un jour je suis rentré à la maison avec un trophée et un bouquet de fleurs », de quoi attendrir les cœurs. 

Elle réalise alors les bienfaits de la discipline, les règles de la Fédération, l’impact de la communauté sur son fils. « Ça m’a éduqué au lieu de trainer. C’était aussi une forme d’intégration sociale », poursuit le raseteur. Quant au patriarche, on l’abondera de louanges au sujet des performances de son fils au village : « bravo, il nous a régalé hier ! ». Trop de pudeur, il camouflera sa fierté.

« Socialement, j’ai rencontré des gens merveilleux. Je n’aurais pas eu cette chance dans un cursus normal », poursuit le passionné. Les échecs ont ponctué son parcours, notamment pour décrocher une alternance en logistique. Deux seuls de la promo’ sans avoir trouvé d’entreprise, il restera à la maison une semaine sur deux.

Jawad Bakloul s’élèvera également grâce à sa deuxième passion : le métier de pompier. Titulaire du concours de sapeur-pompier professionnel qu’il a obtenu au prix de nombreux sacrifices, Jawad entend désormais se mettre au service des plus fragiles.

Lui qui ne connaissait rien du métier plonge à 22 ans dans la grande famille des pompiers. Test d’entrée, stage, formation de secours à personne et incendie, il suit les étapes avec brio. « Donner de mon temps au service public, la mission est belle », reconnait-il. Il poursuit : « Face à la difficulté, on est tous égaux. Une fois sous l’uniforme, on se retrouve face à la détresse sociale présente à tous les niveaux. Ça m’a donné une leçon d’humanité ».

Les taureaux et les pompiers l’ont libéré.

T-shirt blanc, logo Adidas en grand

Originaire de Jonquières-Saint-Vincent, la passion s’installe naturellement. Chaque été, il assiste aux spectacles gratuits. Un groupe se forme avec des jeunes de Montfrin ou Meynes.  « On n’avait pas du tout cette culture, on n’a pas baigné dans ça », souligne-t-il. C’est le raseteur Jamel Bouharguane qui l’initie à la course camarguaise à Bouillargues. « Il me dit qu’il y a plus intéressant que les taureaux dans la rue », poursuit Jawad.

Duel avec le toro. Photo DR

Direction l’école taurine à 17 ans. Il découvre les taureaux des manadiers et la réglementation de la pratique. Comment raseter, se mettre en sécurité ? « Prends un t-shirt blanc, on va voir ce que tu vaux », lui intime-t-on. Il ne sait pas très bien franchir les barrières, encore moins retirer la cocarde ou les pompons. « Je me souviens, tout le monde avait un t-shirt blanc floqué de son nom derrière. J’étais le seul avec un t-shirt délavé et le logo Adidas en grand », dit-il en souriant.

« Le taureau te juge »

Jawad a déjà eu écho d’insultes racistes dans l’arène. Il n’en tient pas rigueur : « quand t’es seul face au taureau, personne ne peut t’arrêter. Le taureau te juge. Le reste je m’en moque ». Il poursuit : « les anciens ont pour certains une image péjorative. La course camarguaise est une tradition culturelle avant d’être une discipline sportive. Beaucoup ne veulent pas que cela devienne une foire. Pourtant notre chance, c’est que le sport soit devenu plus accessible ». Jawad Bakloul connait désormais ses limites. Après avoir tenté les « grandes courses », il privilégie plutôt sa passion à la compétition.

Trophée de l’Avenir

Au Trophée de l’Avenir en 2018, le voilà épanoui. Les arènes et les organisateurs le sollicitent, fixent un calendrier. Les taureaux ont entre 6 et 15 ans, sont plus aguerris. « Ils passent les paliers au même titre que les raseteurs », explique-t-il. Jawad ne se contente plus de toucher la tête avant de sortir. Il apprend à connaitre le taureau, son comportement, les différents élevages. « Les taureaux ont des noms. Je connais mon adversaire », indique-t-il.

Ses parents ont déjà essayé d’assister à une course. Le cœur lourd, ils n’ont jamais pu rester jusqu’à la fin. Pendant 15 minutes, le taureau défend ses attributs, s’il réussit, il rejoint le toril sous l’air de Carmen. « Si mon but est d’aller au trophée des As, le but du taureau est de gagner le Biòu d’or. Comme le ballon d’or, dit-il en souriant. Ça fait vivre la manade », explique le raseteur.

« Entrer dans une institution française »

C’est en faisant des maraudes l’hiver dans les rues de Nîmes avec l’association ‘Les copains de minuscule’, que Jawad découvre son dévouement pour autrui. Il le sait, sa vocation est d’aider. A 22 ans, il toque à la porte de la caserne des sapeurs-pompiers de Beaucaire. « Je voulais expérimenter le dépassement de soi, entrer dans une institution française », il fait alors en moyenne une dizaine de gardes dans le mois. 

Jawad Bakloul lors d’un stage pour devenir conducteur engin pompe. Photo DR

Aujourd’hui, ses parents sont fiers lorsqu’ils présentent leur fils, titulaire du concours de sapeur-pompier professionnel. Epreuves écrite, orale et physique, Jawad a réussi son pari. « Ma priorité, c’est d’avoir un poste en tant que sapeur-pompier professionnel » nous glisse le passionné. Un couronnement après des années de sacrifices et de labeur.

Linda Mansouri

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