Article et photo : Linda Mansouri
A deux pas des arènes, les gourmets vivent une parenthèse enchantée.
« Le sens de la fête, c’est totalement ça ! », s’exclame le chef étoilé dans son bureau. A l’image de cette délicieuse comédie dans laquelle le regretté Jean-Pierre Bacri tente vainement d’organiser un mariage dans un château, la cuisine a son lot d’imprévus. Mais surtout, elle est riche « d’humanisme et de plaisir ».
Damien Sanchez, 20 ans de métier et une exigence à la hauteur de sa réputation. Fils d’ouvriers, le prodige s’initie de son propre chef. « Mes parents travaillaient beaucoup, ils rentraient tard », il se lance alors des défis techniques. Dans la quiétude de la cuisine familiale, les premiers frissons le submergent. Il malaxe, tranche, sent. Un bœuf bourguignon à 14 ans, un pot-au-feu ou une simple salade de tomates parfaitement réalisée. L’histoire a débuté dans cette cuisine.
Au contact de ses apprentis, le chef en est convaincu. Le soutien familial pèse beaucoup dans la réussite des jeunes en cuisine. « Ils avaient beau être des ouvriers, mes parents m’ont mis dans de bonnes écoles, ils m’ont épaulé », se souvient le chef qui ne peut se satisfaire d’une orientation par dépit. « La cuisine est un métier de passion. C’est ce qui nous fait tenir. C’est extrêmement difficile. Celui qui dit le contraire est un menteur », assène l’artisan du vivant.
L’étoile au guide Michelin brille pour la 7e année consécutive. Au restaurant SKAB, les mets du quotidien sont sublimés. La carotte et l’aubergine révèlent leurs secrets insoupçonnés. Alliance entre le caractère, le raffinement et la créativité. L’équilibre entre gourmandise et satiété est subtilement dosé.
« Cela fait dix ans que je fais sept sauces tous les matins », indique le chef. Une prouesse gustative qui compose la signature du SKAB. Par ce travail d’orfèvrerie, il s’impose la même rigueur exigée de son équipe. Le liant de la sauce émerveille les papilles, apporte de la « rondeur », gomme les acidités naturelles. La cuisine est une question de chimie.
Sablé noir et dôme de brandade, mousse de houmous avec pois chiche de Blauzac, citron confit, chips d’épeautres de chez Malaïgue, gelée de poivron, purée d’olive verte de l’oliveraie Jeanjean à Saint-Gilles. Ces quelques lignes pour vous mettre en appétit.
Le parcours est prestigieux : La Cabro d’Or, La Réserve de Beaulieu, Christopher Coutanceau, Jérôme Nutile, Damien Sanchez n’a jamais cessé d’apprendre. En 2014, il devient chef de cuisine et co-propriétaire du SKAB, avant de prendre la totalité des rênes en 2019. Jadis sur cet emplacement se nichait Le Petrus. « Je passais toujours devant quand j’allais prendre le bus. Je me souviens des gros rideaux épais en tissu, des lettres gothiques sur la devanture. J’ai toujours été intrigué par ce restaurant », le destin fait bien les choses.
Une ribambelle de travaux a été engagée pour redéfinir l’identité. Le fourneau de la cuisine a été remplacé. Sans compter l’aménagement de la salle, le sas d’entrée, la terrasse, le mobilier, les luminaires. « Tous les ans, je réinvestis à peu près 10% du chiffre d’affaires. C’est une règle d’or », abonde le chef.
Une quarantaine de couverts en moyenne par jour avec des pics à 70 le week-end, il y a de quoi faire. « On est très linéaire. Il n’y a pas une grosse différence entre été et hiver par exemple, indique le maître restaurateur. Faire un gros chiffre d’affaires, puis faire 50% de moins le mois suivant, ça ne m’intéresse pas. »
Sa compagne Séverine se révèle être un pilier. « Savoir qu’elle est en salle, cela m’enlève une grosse charge de stress et me permet de me concentrer sur la cuisine », souligne Damien Sanchez. Idem pour Chloé, assistante de direction, véritable couteau suisse indispensable. « Elle me dégage aussi beaucoup de temps », précise celui qui rentre très souvent à une heure du matin. Une synergie se crée à partir des qualités de l’ensemble de l’équipe, aussi bien en cuisine qu’en salle.
« Beaucoup de cœur, de temps et d’énergie »
La force du chef ? Sublimer ces produits du quotidien pour une redécouverte. « J’essaye de les travailler différemment, j’aime bien décliner le même produit dans l’assiette », explique-t-il. Un poireau fumé ou une écume de carotte, et la magie opère. Hors de question pour autant d’embarquer le convive dans une cacophonie gustative, « ils doivent comprendre ce qu’ils mangent, que les goûts soient bien définis ». L’expérience repose sur le mariage des saveurs et l’équilibre des menus, un féculent, du végétal et beaucoup de surprises.
« On y met beaucoup de cœur tous les jours, de temps et d’énergie, reconnait le chef. Avoir des projets est sain. Ça pousse à se dépasser », poursuit-il. En matière de challenge, il est à la bonne école. Pari réussi que d’ouvrir son restaurant à cinq minutes de son école primaire, d’obtenir une première étoile en trois ans, de la conserver sept années durant.
« Il faut imaginer, on était huit quand on a commencé. Pendant un an, ça s’est fait dans le dur », se rappelle-t-il. La deuxième étoile ? « Ce n’est pas mon leitmotiv. Le plus important, c’est de faire briller la première, que l’entreprise soit en bonne santé, que le personnel se sente bien », ou le combo magique.
« Ils viennent manger dans ma maison »
Les exigences ont bien sûr évolué. « Au début, je voulais réussir à créer ce que je m’étais visuellement imaginé », peu à peu, la fibre artistique se dévoile. Une fois passée la technique, place à la créativité, à la satisfaction client. « Mes convives viennent manger dans ma maison », aime à le rappeler le chef. Une légitimité naturelle qui s’est construite au fil de l’eau.
La gastronomie est-elle élitiste ?
Le prix se justifie par une multitude de facteurs. La main d’œuvre dans un premier temps. « On est 18, un restaurant gastronomique demande beaucoup plus de personnel qu’une cuisine classique. Le prix correspond à la qualité, les produits sont onéreux, sans compter les coûts de fonctionnement », liste Damien Sanchez.
Top chef, le Meilleur pâtissier, les émissions qui prônent la compétition ont pignon sur rue. « Moi je ne fais pas la compétition, peut-être avec moi-même », préfère le chef qui se ravit de voir émerger des nouveaux talents mais regrette amèrement la représentation du secteur d’activité. « Ces émissions ne montrent que la cuisine. On peut avoir cent cuisiniers, une belle assiette, mais s’il n’y a aucun serveur en face, ça ne sert à rien », tranche le chef. Le restaurateur nîmois se réjouit des aides pour les apprentis qui permettent de « sauvegarder leur passion ». Celle-ci même qui lie toute l’équipe du SKAB.
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