Initialement publié sur le média L’Echo du mardi par Linda Mansouri en janvier 2022.
Batiste Rémy, 32 ans, né à Avignon et parti conquérir l’Oncle Sam il y a dix ans. L’artiste de passage en Vaucluse nous conte son aventure au siège international de Nike.
« Je suis né dans les remparts, un vrai Avignonnais quoi ! », clame Batiste dans un café. Style décontracté, ‘streetwear’ tendance et casquette vissée sur la tête. Le ‘senior footwear designer’ de profession se surprend à oublier quelques mots en Français et son accent américain se révèle. Qui n’a jamais eu un article estampillé de la virgule, hommage à la déesse de la victoire Niké ? La marque au ‘Swoosh’ est actuellement le plus grand équipementier sportif dans le monde avec 7000 employés fourmillant au siège international de Beaverton, Oregon.
Batiste Rémy se plaît à dessiner les courbes, à étudier l’aérodynamique aux côtés des ingénieurs, à jouer avec les couleurs. « A l’époque, on ne se jugeait pas aux baskets, les chaussures avaient beaucoup moins d’importance. Aujourd’hui c’est devenu un signe distinctif et d’appartenance », analyse le trentenaire qui a triplé son salaire en 10 ans pour dépasser les 10.000 euros mensuels. L’évolution interne et le système de récompense à l’américaine…
A l’école, il n’est pas premier de la classe, plutôt en queue de peloton. « Ça n’a pas bien marché du tout. Non pas que j’étais nul, mais je n’ai jamais été à l’aise avec le système éducatif français très strict où l’on te met dans une case », confie-t-il. Il redouble sa seconde et ira faire un bac agricole à Saint-Paul-Trois-Châteaux, « à l’opposé de ce que je fais maintenant », précise-t-il en riant.
Il trouve alors une voie lui permettant de combiner le dessin et le sport, ses deux passions. Le bac en poche, direction Paris. Une première année en prépa et un Master en design produit le plonge dans cet univers technique où il acquiert tous les codes. « Je n’avais pas l’impression de bosser, je m’éclatais ! » se remémore-t-il. Il réalise ses stages chez Quicksilver où il design des montres et des lunettes. Une expérience qui lui permet de suivre toutes les étapes de développement du produit.
S’en suit une proposition d’un ami à la tête de sa propre marque de chaussures. Il est encore étudiant, n’a jamais travaillé dans ce secteur. Il se met au travail et réalise toute une collection qui sera commercialisée partout en France. Pari réussi pour Batiste dont la carrière vient de basculer dans le ‘footwear’. L’équipe Nike Europe se trouve un jour à Paris pour dénicher les talents de demain. Le jeune Batiste revenu dans la capitale se démarque, il sera sélectionné pour effectuer son stage de 6 mois à Hilversum, près d’Amsterdam.
Le succès est au rendez-vous, il fait ses preuves et révèle ses talents. La maison Amsterdam le met en contact avec un recruteur du siège américain. Un entretien téléphonique, des questions classiques. S’en suit l’attente interminable, sera-t-il pris ? « J’envoyais des emails presque toutes les semaines », indique le pugnace. La réponse tombe : refus. Le profil intéressant est toutefois conservé pour une opportunité chez Convers, filiale de Nike. A l’époque, Batiste est freelance et travaille notamment pour des marques de surf.
Pour gagner un peu d’argent, le voilà travaillant dans les vignes, au festival d’Avignon, à la plonge, au service. Il économise puis part un beau jour à Boston où vit son cousin. Comme tout jeune qui se respecte, Baptiste publie une photo de son séjour sur Facebook. Il est aussitôt contacté par son ancienne directrice produit chez Amsterdam qui se trouve être à… Converse Boston. Elle recommande à nouveau son profil. Le mail tombe du siège international Nike : « êtes-vous libre demain ? » Il apprend son entretien en anglais par cœur et imprime son portfolio. « Heureusement, j’avais mon ordi sur moi ! », dit-il soulagé, comme si c’était hier.
« Je suis parti tout seul avec trois sacs. »
Le sésame : un billet d’avion pour Portland. Deux jours d’entretiens l’attendront avec un panel de décisionnaires. Trois mois après, Batiste décroche le poste de ‘footwear designer’. « Je suis parti tout seul avec trois sacs. J’ai laissé ma famille, mes amis et me suis retrouvé à l’aéroport dans la voiture de location », se rappelle-t-il. Pourquoi lui et pas un autre ? La diversité des talents forme l’ADN de Nike. Divers horizons permettent de créer une « émulation artistique, riche d’influences ». Au siège, les designers français côtoient des Néozélandais, des Indonésiens, des Britanniques et bien d’autres nationalités.
Alors oui, tout destin a son lot de chances. Mais le labeur y est pour beaucoup. « La chance, il faut la provoquer. Si je n’avais pas fait mes preuves à Amsterdam, je n’aurais jamais été recommandé. Beaucoup de personnes ont l’impression que c’est facile. Des millions de designers aimeraient travailler chez Nike, et ce sont les meilleurs du monde. Il n’y a pas de secret, il faut travailler plus que les autres », ainsi se décline la devise. Au bout de six mois, Batiste est capable d’entretenir une conversation en anglais. Le dialecte ne défie pas Shakespeare mais il se fait comprendre et comprend son équipe. « On apprend très vite lorsqu’on n’a pas le choix. Je rentrais à la maison épuisé en revanche. A la charge de travail classique s’ajoutait l’apprentissage de l’anglais. Mon cerveau travaillait deux fois plus, je me couchais à 18h grand maximum », se rappelle-t-il.
Salles de sport, terrain de tennis, de basket, de foot, piscine, restaurant, ‘wellness center’, centre d’acupuncture, lac artificiel… Une ville dans la ville. Au siège de Beaverton, deux divisions : lifestyle et performance. Tous les sports sont représentés dans chaque catégorie. Durant les six premiers mois, Batiste explore les différents pôles. Objectif ? Révéler son style et définir si le fashion ou la technique convient davantage à son profil. « Le fait de mettre des profils avec un ‘knowledge’ (connaissance, ndlr.) différent crée une richesse, cela permet de donner un nouvel angle », explique Batiste.
« Des millions de designers aimeraient travailler chez Nike, et ce sont les meilleurs du monde. »
Aujourd’hui, le voilà dédié à la catégorie chaussure de foot. « Je développe entièrement la chaussure », précise celui qui a notamment désigné la Vapormax portée par des millions d’adeptes en France et en Europe. « On commence toujours par écouter l’athlète. On étudie énormément le ‘consumer’ (le consommateur, ndlr). On fait beaucoup de dessins, de sample (échantillon, ndlr), des plans de coupe, des impressions 3D, des prototypes », détaille Batiste.
Tout au long du processus de création, les allers-retours entre le laboratoire et les athlètes permettent d’affiner le concept. La cible peut aller de l’enfant de 5 ans, au professionnel en ligue 1. « Tout ce qui est lifestyle et fashion nécessitent moins de technicité car nous ne sommes pas dans la performance. Une chaussure de foot en revanche peut prendre jusqu’à trois ans de travail », explique le trentenaire.
« Une chaussure de foot peut prendre jusqu’à trois ans de travail. »
Bien que le designer soit complètement épanoui aux Etats-Unis, la gastronomie et les monuments historiques manquent à l’appel. « Le fort Saint-André, la Chartreuse, le Palais des Papes, les Arènes de Nîmes, le Pont du Gard, on s’y habitue quand on grandit dans la région. Mais quand on revient en France, on se rend compte de la richesse, on voit les choses d’un œil diffèrent. Ici, on voyage dans l’histoire, dans la romanité, la préhistoire avec nos grottes. Tous ces monuments existaient avant les Etats-Unis, c’est impressionnant », reconnaît-il. De l’aveu de Baptiste, force est de constater que les Français râlent un peu trop, ne sont pas conscients des avantages. « Aux Etats-Unis, 80% de la population ne reçoit aucune aide, pas d’assurance maladie, ce n’est pas la même chose. La vie est extrêmement chère, jusqu’au prix du café », illustre-t-il.
Le designer retourne auprès de sa famille au moins une fois par an. Aux Etats-Unis, les vacances se font plus rares, trois semaines et une semaine à Noël. « Ceci dit, il est possible de prendre des jours off plus facilement qu’en France. » Autre différence : « Aux Etats-Unis, les horaires ne sont pas aussi stricts. Quand tu as terminé ton travail, inutile de te forcer à rester au bureau, quitte à surfer sur Facebook. Tant que le travail est fait et qu’aucune réunion n’est manquée », explique Batiste. La distinction entre les sphères professionnelle et privée est également plus prégnante outre-Manche : « les américains ont tendance à séparer boulot et vie sociale. Il y a moins d’afterwork par exemple. »
« Les américains ont tendance à séparer boulot et vie sociale. »
« Ça fait peur mais c’est tellement excitant », confie le designer. Si ce dernier a un conseil à prodiguer aux jeunes qui souhaitent prendre le large mais sont frileux : investir d’abord des pays proches. « En Europe, les pays ne manquent pas. En voyageant, j’ai pris du recul sur moi-même et j’ai cultivé un point de vue très critique. Voyager permet d’élargir son esprit. Au pire des cas, si ça ne fonctionne pas, on retourne en France », conseille-t-il. Le mantra, se lever le matin avec le sourire, « commencer avec des bons revenus, ça ne rend pas forcement heureux », abonde-t-il.
Autre passion du trentenaire, les vieilles voitures américaines, leur élégance, leurs lignes et leur design qui ne se fait plus aujourd’hui. La production audiovisuelle est également un joujou pour celui qui se plaît à produire des courts métrages. « Ce qui est fun, c’est le côté créatif et développement. Dans l’audiovisuel, le processus initial est le même. Il faut trouver un concept d’inspiration et le mettre en forme », explique Batiste. Et comme il ne se contente jamais de sa zone de confort, une nouvelle page de son livre pourrait bien un jour s’écrire en Asie…
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