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Ces entrepreneurs qui veillent sur nos aînés en Ehpad

Initialement publié sur le média L’Echo du mardi par Linda Mansouri en janvier 2022.

A Apt, deux autodidactes ont développé une prouesse technologique au service de nos aînés en Ehpad. Rencontre avec les fondateurs d’EEC technologies, à la recherche de ‘bêta testeurs’.

« En trois ans, on en a pris dix », nous confie Matteo Gachon au cœur de la Voûte, cet espace collaboratif à l’aura mystique. Et pour cause, le coworking abritait autrefois une abbaye transformée en couvent. Non loin des falaises ocres, une amitié de vingt ans et la passion pour l’informatique se mettent au service de nos doyens. Derrière leur apparence ordinaire et leur sourire candide, les maestros de l’algorithme sont d’ingénieux visionnaires. Exit la bête noire qui suscite les appréhensions les plus vives, l’intelligence artificielle sociale et solidaire exécute ce qu’on lui demande.

Andrea Pozzo et Matteo Gachon, la trentaine, nous détaillent les 1001 technologies condensées dans leurs bijoux : des petits capteurs blancs et discrets. Ils nous expliquent dans quelles mesures ces objets installés dans les chambres en Ehpad peuvent prévenir la dépendance et alerter des chutes. A Apt, les entrepreneurs ont pu s’enrichir d’une multitude de réseaux professionnels et institutionnels. « On a eu beaucoup de mains tendues, peut-être plus d’opportunités que si on s’était installé à Avignon. Il y a un vivier de personnes bienveillantes et très compétentes », se réjouit Matteo Gachon.

De leur installation jusqu’à l’accompagnement financier en passant par la prospection, les acteurs économiques de la vie locale ont tous prêté main forte pour une implantation réussie. Après plusieurs années de labeur, les associés ont développé un outil technologique capable de comprendre et d’identifier des situations à risques chez des personnes âgées. Une intelligence artificielle anticipe donc les risques, en prévenant la famille des changements d’habitudes constitutifs d’un glissement vers la dépendance et prévient l’entourage direct en cas d’urgence. Le dispositif respecte la vie privée puisqu’il n’intègre ni micro, ni caméra. Il a l’avantage d’être complètement autonome, ne requiert aucune action. La solution utilisée en Ehpad évite un maintien au sol prolongé entrainant des conséquences souvent pires que la chute elle-même.

Le boitier à gauche centralise les données des capteurs (droite) installés dans la chambre. Photo: Linda Mansouri

Le message WhatsApp

Première rencontre en classe de sixième. Déjà jeunes, les deux amis se passionnent pour l’informatique. Ils montent des PC ensemble, interconnectent les ordinateurs pour faire du jeu en réseau local. « On n’a jamais été trop scolaire », admet Matteo. Ils se retrouvent à Lyon, fac d’histoire pour l’un, fac de droit pour l’autre. En parallèle de la licence, les ingénieurs en herbe font de la domotique, « pour s’amuser ». Ils explorent alors plusieurs types de technologie qui automatisent la maison. Rapidement, Matteo évoque ses grands-parents âgés de 90 ans.

Sa grand-mère se retrouve un jour toute seule pendant un mois, à deux heures de voiture de sa fille unique. « Elle a l’habitude de m’envoyer un message sur WhatsApp tous les jours, je sais ainsi ce qu’elle fait », explique Matteo qui un jour est pris de panique. Si mamie chute juste après l’envoi d’un message, qui le saura ? Combien de temps restera-t-elle au sol avant que quelqu’un ne s’en aperçoive ? Pour éviter ce scénario angoissant, il installe des capteurs de mouvement chez elle. « J’ai commencé à constituer une ‘timeline’ avec les informations de mouvement collectées », explique le fondateur dont l’entourage trouve le concept fascinant et demande même à l’installer chez ses grands-parents. « Ils voulaient que je développe ce produit », se remémore Matteo. Voilà qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd.

Comment veiller sur nos aînés en s’assurant que leur dignité reste intacte… Crédit: EEC Technologies

L’aventure commence

Matteo, alors commercial, soumet le projet à Andrea Pozzo, qui exerce dans le dépannage informatique. Les deux se mettent aussitôt en selle. « On aspirait à faire quelque chose d’utile », un challenge se profile : améliorer pas à pas la première solution créée. Au total, 11 natures de détection sont intégrées dans le système. Les capteurs sont capables de détecter un panel d’indicateurs : mouvement, température, hydrométrie, taux d’UV, activité électrique, gaz, monoxyde de carbone, pour ne citer qu’eux. Un exploit d’autant plus remarquable pour ceux qui ont appris l’IA via des tutos en anglais sur YouTube…

Grace à l’IA, les entrepreneurs constituent une empreinte des habitudes de vie de la personne que le système protège. EEC Technologies répond à deux objectifs : alerter les aidants et la famille en cas de chute, mais également comprendre le glissement vers la dépendance. « Notre valeur ajoutée, c’est faire de la prévention, de l’anticipation », résume Matteo.

La Bastide du Luberon à Robion ouvre très vite ses portes à cette nouvelle technologie aptésienne. « Il y a une espèce de dichotomie entre le méchant Ehpad et le gentil maintien en domicile. Des aprioris que l’on balaye une fois sur le terrain. Cela coûterait d’ailleurs plus cher d’avoir les services d’un Ehpad à domicile, puisqu’ils ne sont plus mutualisés », pointe Matteo. Huit capteurs pour quatre chambres sont alors installés, permettant une riche collecte d’informations grâce à un partenariat de terrain. Le duo dépose ensuite un dossier auprès de l’incubateur Camina et devient lauréat en 2019. Le marché centré sur le particulier dévie sur celui des Ehpad.

« On n’avait pas cette frappe commerciale pour le particulier et la technologie a un plus de mal à pénétrer les foyers », explique le fondateur. Un partenariat technologique est ensuite signé avec la Maison de retraite publique intercommunale de la Durance à Noves et Cabannes. « Nous avons réuni beaucoup de retours de la part des utilisateurs. L’Ehpad ne paie rien, en échange, le personnel nous fait des retours très importants pour le développement des fonctionnalités », souligne Matteo. Lauréat du réseau Entreprendre, la startup sera soutenue par Initiative Terre de Vaucluse, Bpi France, CIC Avignon ou la French Tech Grande Provence. 100.000€ seront mis sur la table pour voir naître le bébé.

Les capteurs permettent d’alerter le personnel d’une chute mais également d’anticiper le phénomène de dépendance.

2 salariés pour 80 lits en Ehpad

« Les résidents en Ehpad sont généralement dans un degré de dépendance avancé, qui nécessite un encadrement important. La nuit, il y a deux salariés pour 80 lits en moyenne en France », indique Matteo. Surprenant lorsque l’on sait à quel point la nuit rend vulnérable. Si une personne chute, elle est découverte uniquement au cours de la tournée du personnel. « Il faut savoir qu’au-delà de 45 minutes de maintien au sol, même si aucune contusion ou fracture n’est constatée, les dommages peuvent être très importants chez les personnes âgées : déshydratation, hypothermie, etc. », alerte Matteo.

EEC Technologies aide le personnel uniquement durant la nuit, grâce à un appel automatique en cas de chute. 606 Ehpad sont référencés en Paca, 122 dans un rayon de 50km autour d’Apt. Pour poursuivre son développement, la startup a besoin de 6 Ehpad au cours de la première année. Elle en appelle ainsi au ‘bêta testeurs’ pour enrichir sa technologie et se développer. « Environ 44% des établissements sont publics. Le Département a la gestion du bien vieillir au même titre que l’ARS. Si une personne chute et se fait mal, c’est l’Assurance maladie qui paie les frais. Les chutes coûtent 2 milliards d’euros par an à l’Etat. Mon combat, c’est de faire comprendre que cette charge ne doit pas incomber uniquement à l’Ehpad », explique Matteo.

Une solution complètement autonome

Quinze jours d’apprentissage sont nécessaires pour créer une empreinte des habitudes. Combien de temps dort le résident ? A quelle heure se couche-t-il ? Combien de fois se lève-t-il dans la nuit ? Une personne qui se lève plus régulièrement peut par exemple révéler l’apparition d’une pathologie. « On a également incorporé un bandeau lumineux au niveau des plaintes de la chambre pour améliorer la visibilité et réduire encore plus le risque de chute », abondent les fondateurs.

La philosophie ? Proposer une technologie automatique, complètement autonome. Pas de bouton à actionner, de bracelet à saisir, pas besoin d’internet et une batterie qui peut durer des heures en cas de coupure d’électricité. « Quand l’IA analyse une décision, elle n’oublie aucun paramètre, même s’il y en a des millions. Dans ce domaine, le ‘Machine learning’ sera toujours plus efficace qu’un être humain », précise Andrea Pozzo. Le boitier gère entre 4 à 6 chambres et les piles des capteurs sont à changer une fois par an. La maintenance et la mise à jour se font à distance. « On a beaucoup travaillé sur la réplicabilité des systèmes, pour qu’un électricien soit capable d’installer notre outil très facilement, partout en France, » précise Matteo.

EEC technologies recherche des bêta testeurs pour déployer sa solution innovante

IA sociale et solidaire

Ils en sont convaincus, avec la technologie, on peut faire beaucoup plus, avec autant de moyens. « L’IA représente pour nous une plus-value sociale, même si elle est perçue comme le robot qui va remplacer l’humain et tout contrôler. Une machine ne peut pas se voir prêter des intentions humaines. Elle n’est pas manipulatrice, elle fait ce qu’on lui demande de faire. On ne cherche pas à remplacer l’humain mais à maximiser son temps. Nous sommes une aide, pas un substitut « , rappelle Matteo. Le slogan ? L’IA sociale et solidaire pour prendre le contre-pied.

EEC Technologies s’inscrit dans la société et sa métamorphose à venir. La durée de vie s’allonge, l’indépendance s’accroît, la technologie médicale avance. Le programme gouvernemental Ehpad « hors les murs » entend bien se projeter dans l’avenir. « Le babyboom va bientôt devenir papyboom. Un pic de personnes va atteindre un état de dépendance compatible avec l’Ehpad. Les pouvoirs publics ne pourront pas faire face à cette forte demande », analyse Matteo. Construire d’autres Ehpad ? Une solution coûteuse et un foncier qui manque cruellement. Avec ce programme, il s’agit d’accompagner les personnes à domicile, avec un service plus poussé que le service classique : auxiliaire de vie, infirmier, ASH, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, etc. Un programme dans lequel les capteurs pourraient être une solution idoine au cœur des foyers. L’Ehpad se charge à ce moment-là d’alerter et de conseiller la famille en cas de prise en charge nécessaire au sein d’un établissement.

Oui aux investisseurs, non à la vente de données

Le concept plait, mais il séduit beaucoup d’investisseurs friands du commerce de données. « On ne veut pas vendre de données brutes, avoir ce genre de ‘business model’ ne nous intéresse pas. On utilise les données pour réalimenter notre IA et proposer un service toujours plus performant. On souhaite intégrer des actionnaires avec la même philosophie de développement. Que ce soit un fonds investissement, un industriel ou un business angel, il faut qu’il soit en phase avec nos valeurs. On n’a pas le couteau sous la gorge », concluent les fondateurs.

Voilà l’histoire de ces âmes gonflées d’une détermination naturelle, animées par la volonté de préserver la dignité de nos aînés. Rappelons-nous seulement que ces derniers étaient les premiers à nous tenir la main lorsque nous ne savions même pas encore marcher.

Plus d’informations sur EEC technologies, cliquez ici.

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