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Place des Carmes, ‘La machine à écrire’ ou le cocktail de vie

Initialement publié sur le média L’Echo du mardi par Linda Mansouri en février 2022.

2 place des Carmes à Avignon, ‘La machine à écrire‘ égaye les papilles comme il nourrit les cœurs. Un moment avec Jean Navarre, féru de Bukowski et éternel apprenti de la vie.

Placer l’humain au cœur du système de valeurs, n’est-ce pas le plus grand pari de notre ère ? Dans ce bar à cocktails où les machines à écrire ornent les murs, Jean Navarre s’y emploie avec humilité. Armé de son ‘shaker’ et ses saveurs, l’entrepreneur reconstruit les liens, rapproche les âmes. En période post-apocalyptique sanitaire, les bars se réapproprient leur rôle impérieux. Ils déjouent l’emprise oppressante de nos écrans. Les fragrances, les éclats de rire, la peau que l’on touche, le regard complice. Une expérimentation plus intense que mille notifications Facebook.

Le conte de Jean Navarre nous rappelle à notre passé de lecteur assidu de J.K. Rowling. Le voilà dans un coin à écrire, à donner vie à des personnages, à faire danser les mots dans un ballet harmonieux. Jean est un poète. Pendant quelques années, son univers se résume au bar ‘Le kitch’ dans le 11e arrondissement de Paris. Proche de la fenêtre, niché dans sa bulle, il écoute, ressent, gratte des mots sur un petit carnet logé dans son blouson. La richesse des interactions humaines au cœur d’un ‘pub’ inspire son lyrisme. Plus qu’un simple ‘coup au bar’, ‘La machine à écrire‘ est une expérience sociale transcendante.

Jean Navarre propose un panel de cocktail frais place des Carmes à Avignon. Crédit photo: La Machine à écrire

Natif d’Avignon, Jean Navarre tombe dans la marmite culturelle dès l’école : cursus histoire de l’art et communication. Ses deux passions : l’écriture et le contact avec les gens. En 2001, il fait ses valises pour la capitale. Après trois ans en tant que salarié, Jean endosse le rôle de patron du Kitch. « Ce qui m’a plu ? Les histoires, les rencontres. Des couples se sont même demandés en mariage sous mes yeux. Ce sont des choses qui m’inspirent », nous confie-t-il. Ses écrits feront d’ailleurs l’objet d’un projet d’édition.

Jean a un pouvoir : celui de mélanger les genres, les classes sociales, les âges, les croyances. Pendant cinq ans, le voilà navigant entre Paris et Avignon, des allers-retours au rythme de deux fois par semaine. Il restera douze ans dans ce bar et mettra un point d’honneur à connaitre le prénom de chacun de ses nouveaux convives. Et puis, la fatigue et l’instabilité le gagnent.

L’innommable entérinera son choix de déserter Paris. Son bar était niché à 50m du Bataclan. Les cris de désespoir, les touristes qui se réfugient chez lui, la responsabilité immense d’assurer la sécurité de ses clients… La musique prend fin, les lumières s’éteignent. « On entendait tout, notamment les tirs. Ça crée des liens forts, ça m’a fait réfléchir », explique-t-il. Il rejoint sa femme et ses enfants à la cité papale en 2017.

Jean Navarre et sa ‘Machine à écrire’ qui le relie à son art.

Arrivés à Avignon, le chemin de croix débute. Son épouse tape à toutes les portes. Avec des moyens modestes dans la besace, elle recherche des locaux, démarche une multitude de banques. « C’est ma femme qui a fait tout le boulot. Elle a énormément travaillé, s’est montrée conciliante, déterminée. J’insiste car ce n’était pas facile », reconnaît Jean Navarre. Après des mois d’acharnement, la banque solidaire la Nef accorde un prêt salvateur. « On s’est engagé à travailler avec des produits locaux, à mettre en avant le savoir-faire », souligne le chef d’entreprise. Le local est acheté en mars 2018 et ouvre après trois mois de travaux grandement nécessaires. Il abritait auparavant un restaurant ouvert uniquement trois semaines par an pour le Festival.

« On ne voulait pas se lancer à nouveau dans un bar. On a donc ouvert un restaurant en premier lieu. Ce qui en soi est beaucoup plus compliqué qu’un bar en terme de charge de travail. Je me suis rendu compte de ça après… », se rappelle Jean. Cadence de travail, fatigue, amplitude horaire. Le couple tient deux ans. Même si l’expérience est enrichissante, l’aspect humain manque cruellement. « A midi, les clients viennent pour manger rapidement. Le soir ils sont en couple, en famille ou entre amis. Ce n’est pas la même ambiance. La musique m’a beaucoup manqué également, les blagues, les discussions », liste-t-il.

Même éloigné de Paris, le bar imprègne son inconscient. Jean Navarre lui donne finalement vie avec La machine à écrire, un bar à cocktails inédit à Avignon. Dans son antre, le poète plébiscite l’humain, « on est comme un psychologue, c’est ce que j’adore dans ce boulot. Pour faire ce métier, il faut aimer les gens, on ne fait pas ça pour l’argent. Je n’ai pas l’impression de travailler, je sais que je vais m’amuser tous les soirs. J’ai l’impression de faire un dîner, ou de boire un coup avec mes potes ».

2 petits Ventoux sortis de leur tanière. A venir attraper au comptoir de la Machine !

La machine à écrire‘ ouvre en mai 2020. En plein cœur du volcan nommé Covid, le couple s’en sort grâce aux dispositifs d’aide et à leur pugnacité. Aujourd’hui, « on est fier de nous, ça marche de mieux en mieux, il y a de plus en plus de monde grâce aux réseaux sociaux, au bouche-à-oreille. Les gens se rendent compte qu’on ne se contente par de les servir, on s’intéresse à eux. » Il faut bien qu’Instagram et Cie révèlent leur utilité…

Parce que la proximité et l’entraide priment, les clients peuvent se faire livrer une pizza de Chez Sergio en face, des bagels du restaurant d’à côté, ou du bon vin. « Cela fait marcher le commerce du coin. De notre côté, on vend des petits pâtés d’Ardèche, des produits de Local en bocal, des tartinades. On essaie de créer un endroit où les gens se sentent vraiment à l’aise, pas de clientélisme », souligne l’hôte. Beaucoup de clients deviennent des amis par la force des choses.

Ici, les cocktails composent 90% de la carte. 12 cocktails sur mesure s’ajoutent aux 12 cocktails classiques, à 8 euros et 6 euros pour les étudiants de 18h à 21h. Jean Navarre entend bien prouver que les cocktails de qualité existent et ne plument pas le porte-monnaie. Le dénommé cocktail Ventoux crée il y a un an et dont l’artiste Pablito Zago est friand « cartonne » : sirop d’estragon, rhum, citron vert, liqueur de bergamote, branche de romarin. Chaque semaine, l’artiste du goût laisse sa créativité s’épanouir. Des cocktails au chocolat, liqueur de Yuzu, vodka, liqueur de baie d’Ethiopie, blanc d’œuf…

Carton plein à la Machine à écrire.

A partir du printemps, 70 places seront déployées à l’extérieur pour un moment encore plus convivial. « On s’entend très bien avec Sébastien Benedetto du Théâtre des Carmes. C’est un petit village, on est tous solidaires. Cette place est selon moi sous-cotée car elle se situe un peu en bout de ville. Les gens vont plus facilement sur la place des Corps Saints », déplore Jean. Une place qui pourtant révèle tout son charme et n’a rien à envier aux autres spots avignonnais. Atout indéniable : elle peut désormais se targuer d’avoir le seul bar à cocktails assumé de la ville.

Dans la capitale de la culture, Jean Navarre multiplie les initiatives. Une soirée avait lieu avec les Harlem funk trotters et le dessinateur avignonais Romano y exposait il y a quelques jours son talent. « Tous les mois, je fais venir un artiste. J’ai le projet de faire un podcast le mardi soir pour mettre en avant la culture un peu plus ‘underground’, les artistes qu’on ne voit pas forcement », propose-t-il. Musique, art, peinture dessin, Jean Navarre met à disposition son lieu pour pouvoir faire vivre la culture et rendre hommage à l’humain.

Petite escapade littéraire pour ponctuer ces lignes : « C’est ça le problème avec la gnôle, songeai-je en me servant un verre. S’il se passe un truc moche, on boit pour essayer d’oublier; s’il se passe un truc chouette, on boit pour le fêter, et s’il ne se passe rien, on boit pour qu’il se passe quelque chose », Women (1978) de Charles Bukowski.

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Les cocktails vous attendent 2 place des Carmes à Avignon. Crédit photo: Jean Navarre.

Article initialement publié sur le média L’Echo du mardi par Linda Mansouri.

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