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A Uzès, le vrai café « à l’ancienne »

Article et photos : Linda Mansouri

A Pont des Charrettes, une bête de 6 tonnes âgée d’une centaine d’années dégage une odeur enivrante. A sa tête, Julien Hurard, l’un des rares torréfacteurs « à l’ancienne » dans l’hexagone.

L’émotion le submerge. Il faut dire que le parcours d’un entrepreneur français est loin d’être une promenade dans un parc. « Aujourd’hui, les gens me disent ‘ça marche bien !’, mais beaucoup ne savent pas par quoi nous sommes passés », se confie le dirigeant de l’Atelier du café. Originaire de Saint Maximin, Julien Hurard, passionné de café (mais aussi de vin), peut se targuer de perdurer la culture du café à l’ancienne, celle de nos aïeux.

Ici, pas de brûleur à gaz, mais du bois et du charbon anthracite, « pas celui pour les grillades hein ! » précise-t-il. Le café vert entame une danse de 20 à 25 minutes à 200 degrés dans un tambour rotatif. Les saveurs et les aromes dévoilent leurs secrets tout en douceur, à rebours des cuissons industrielles pliées en dix minutes. « Il y a même des torréfactions flash de 90 secondes à 800 degrés », on imagine déjà l’état de nos papilles…

La bête se réveille, libère un bruit assourdissant. Aux aguets, le chef d’orchestre surveille l’opération. « Tout se joue dans les dernières minutes, il faut surveiller le temps et la chauffe », nous explique-t-il. Muni d’une sonde, Julien Hurard inspecte le « cœur de la meule ». Il prend un échantillon de grains, sent ses effluves, en craque quelques-unes sous la dent. Ni trop acide, ni trop amer, la cuisson est à point. Le succès est au rendez-vous. Trente tonnes s’écoulent par an dans les épiceries, les restaurants, les entreprises et les particuliers. En inspectant son livret de commandes, un constat lui donne le sourire. « On sortait 200 kg en un mois, contre 800 kg en une semaine dernièrement », les chiffres ne mentent pas.

Julien Hurard aux commandes de la bête. Crédit photo : Linda Mansouri

Le café provient d’environ 15 pays dont le Brésil ou le Guatemala pour ne citer qu’eux. Café classique, bio, commerce équitable, moulu, en grains, capsules, doux, fruité, corsé, tous les goûts sont dans la nature. Au comptoir, son épouse Laëtitia, pilier de la première heure. Bientôt, les effluves se feront sentir à l’entrée d’Uzès. Un déménagement est prévu sur un terrain de 450m2, dans des locaux plus spacieux, fonctionnels et confortables.

« Je n’agresse pas le café »

Julien Hurard est sceptique. L’évolution technologique a-t-elle toujours du bon ? Au salon Coffee show à Paris, l’artisan a assisté à quelques démonstrations pour le moins atypiques. Parmi celles-ci, une torréfaction contrôlée via écran, affichant pléthore de paramètres chiffrés. « Le monsieur n’a pas regardé une seule fois ses grains », se souvient-il. Alors certes, la production est plus précise, régulière, mais la relation à la matière perd tout son charme. Le café, on le sublime à sa juste valeur. Surtout lorsque l’on connait les conditions de culture éprouvantes en altitude.

Ici, tout se fait à l’ancienne, de la braise et une inertie se créent. « Quand j’éteins la machine, ça continue de chauffer pendant encore 24h. L’été, je torréfie la nuit. A 9h du matin, il fait déjà 30 degrés, ça peut monter jusqu’à 50 », précise-t-il. Un travail harassant qui fait le charme et l’identité de cette marque si appréciée. Quant au bois, l’artisan sculpte ses muscles en constituant ses réserves. En tout, trois quarts d’heure sont nécessaires pour préparer la bête.

Itinéraire d’aventuriers

Julien Hurard a pourtant évolué loin des arabica ou autre robusta. Diplômé d’un BTS vente, il fait ses premières armes en tant que commercial à Uzès. Il sillonne la France, devient un commercial hors-pair et multiplie les contrats pendant douze ans. A 30 ans, une fulgurance. Julien Hurard veut être son propre patron. Conscient des « joies, du bonheur et du stress » que l’entrepreneuriat implique, il se lance. Il démissionne malgré un salaire plus que convenable, « tout le monde était surpris » se rappelle-t-il.

Il y en a pour tous les goûts à Pont des Charrettes. Crédit photo : Linda Mansouri

Une première société de livraison est créée en 2006 à Montpellier. Une belle aventure mais beaucoup de travail et des conditions de piétonisation du centre-ville qui compliquent la circulation des camions. Il faut capituler, « c’est un échec, c’était compliqué », reconnait-il. Qu’à cela ne tienne, au détour d’un salon à Montpellier, il aperçoit une table vide sur laquelle gît un petit papier. Sur le prospectus, un appel à recrutement de commerciaux pour l’Atelier du café alors basé à Gignac dans l’Hérault.

« Je prends toutes les infos et je me rends à l’atelier le lendemain », poursuit-il. Un couple lui ouvre les portes. Monsieur s’occupe de la torréfaction, madame de la vente. Julien Hurard décroche un contrat d’agent commercial et multiplie les bonnes affaires. Il recevra deux ans plus tard une proposition pour reprendre le fonds de commerce. Une décision qui mérite réflexion, les économies ont déjà bien fondu avec la première entreprise. Son épouse glissera : « si on tombe, on ne se relèvera pas ».

Le couple réfléchit, le potentiel de ce café à l’ancienne est exceptionnel, à la hauteur du risque. La réponse tombe : ce sera oui. Pendant très longtemps, « beaucoup de privations, pas de restaurant et un maigre salaire négocié avec le comptable, se rappelle-t-il. Ce qui comptait c’était la santé de l’entreprise ». Le couple déménage la bête de l’Hérault à Uzès. Les banques sont pour la plupart réticentes, « je sors les rames, je me bagarre ». Revenir au café à l’ancienne ? A quoi bon puisque les capsules représentent l’avenir, lui martèle-t-on lors des ‘pitchs’ de présentation.

Crédit photo : Linda Mansouri

Une seule banque suivra à ¾ du financement. Les parents de Julien abondent d’une aide financière qui sera remboursée jusqu’au dernier centime par leur fils. « Le 14 juillet 2010, j’ouvre officiellement l’atelier au public », narre-t-il avec émotion. Plusieurs fois les doutes l’ont submergé, dans quoi a-t-il embarqué sa famille ? En 2015, un salarié est recruté, Julien Hurard s’octroie son dimanche pour la première fois. Un site internet est crée et connait une augmentation exponentielle en matière de commandes. « Il m’a bien aidé pendant le confinement ! », reconnait l’artisan dont les clients achètent à 700km d’ici.

Le patriarche sera un appui solide, le fiston tient à le mentionner. Il aide pendant les travaux, tient la boutique quand Julien est deux fois par semaine à Marseille pour charger son café, ou en rendez-vous administratif. Encore aujourd’hui, il l’accompagne sur les marchés et les grands salons. Un agent commercial a également rejoint l’aventure.

« Le vin numéro 8 avec emballage rouge »

Merci Nespresso. Prix, goût, déchets, la firme a peut-être contribué à faire renaître l’engouement pour le café en grains. « C’est comme si on demandait à boire le vin numéro 8, avec emballage rouge ! » s’insurge Julien Hurard en se prêtant au jeu des comparaisons. Une offense pour le passionné de terroir, qui érige le café au même plan que le vin. « En Europe, la culture du café est valorisée, avec le barista par exemple, pointe-t-il. Ce n’est pas le cas outre-Manche. D’ailleurs, George Clooney ne souhaite pas que son image soit associée au café aux Etats-Unis, mais uniquement en Europe ». Et de conclure : « La seule différence, c’est que le bon vin se bonifie, alors que le café se dégrade avec le temps ».

L’Ukraine a bon dos

Pour s’approvisionner, Julien Hurard passe commande auprès d’importateurs qui achètent les containeurs. Cinq sacs de grains par mois suffisaient au début de l’aventure, contre quarante-huit sacs aujourd’hui. En marge du covid, le prix du containeur explose alors de 80%. « Un truc de malade », ponctue le dirigeant qui blâme davantage la spéculation féroce que la guerre en Ukraine. « C’est indécent. Le café se cultive entre le tropique du Cancer et du Capricorne », autant dire que l’Ukraine n’est pas bien positionnée sur la carte. Ou alors nos lacunes en géographie prennent le dessus.

Une hausse de prix qui n’est pas répercutée de manière proportionnelle sur le prix de vente, si ce n’est de quelques centimes. Quant aux clients, ils se prélasseront prochainement dans le coffee shop qui sera installé dans les nouveaux locaux, se baladeront dans la boutique et pourront admirer les 1001 moulins de collection. « J’ai même une machine qui date de Louis XIV ! », conclue le tenancier avec le sourire. 

La collection de moulins sera exposée dans les nouveaux locaux. Crédit photo : Linda Mansouri

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