Article et photo : Linda Mansouri.
Vivre de son art, sans dénaturer son identité, ni ses inspirations. Un pari audacieux que l’Uzétien Swed Oner relève avec brio.
Cinq. C’est le nombre de continents dans lesquels le Petit poucet comme il aime se surnommer a laissé ses « cailloux ». Pérou, Vietnam, Ecosse, Portugal, Etats-Unis, Nouvelle-Calédonie… Les fresques s’étalent et racontent une histoire. La prochaine aventure ? Direction le métro parisien. Sous l’Opéra Garnier, un collectif d’artistes donnera bientôt vie à ses chimères en partenariat avec la RATP.
Rue Cigalon à Uzès. Les derniers touristes de la saison affichent un stop au niveau de la devanture. Leur regard balaye timidement la pièce pour se poser sur les puissantes toiles jonchant l’atelier. Niché dans son temple, sur fond de rap, Swed Oner nous livre un bout de son histoire. Un monument artistique de la cité ducale qui « s’est fait un petit nom » au fil des tribulations.
Plus qu’un nom, Swed Oner est désormais un label, une caution d’authenticité. L’artiste de 37 ans n’hésite pas à décliner des projets hors de son spectre. On en veut pour preuve Bernard Tapie de son vivant, sur un mur en face du vélodrome de Marseille. « C’était quelqu’un de notoriété publique. Mais le projet en soi ne m’intéressait pas », se confie-t-il. Le buzz médiatique ne lui aura pas fait changer d’avis.
BTS commercial suivi de six années en tant qu’opticien. Le virtuose du pinceau baigne dès sa jeunesse dans la culture urbaine, un rap acéré et inspirant. Il lit, dessine et s’adonne à la philosophie. « Elle permet de réfléchir à des choses un peu plus larges que soi-même », aborde-t-il. Il y a 7 ans, il ouvre son atelier et s’affranchit de la servitude moderne. « J’ai eu envie de donner ma chance à ma passion, de trouver du sens », explique-t-il. Alors il « s’écoute » et se plonge dans un chemin sinueux parsemé d’épreuves.
« Ça n’a pas été facile, des moments compliqués, il y en a encore, et il y en aura toujours », admet-il. Aucun salarié, il mène la barque seul. Son crédo ? L’humain, les trajectoires de vie, le regard. Chaque ride raconte une épreuve, chaque grain de peau livre un secret. Que dirait-il de peindre un paysage, l’emblématique Pont du Gard ? « Ça ne me plairait pas, je m’ennuierais », tranche-t-il.
Voilà neuf mois qu’il est en « tête à tête » avec une femme. Il la contemple, les deux communiquent. Ce morceau d’humanité sublime la pièce. « Je l’ai rencontrée en Roumanie alors qu’elle faisait la manche à 98 ans », se remémore-t-il empreint d’émotion. En résidence, quatre artistes français ont visité des monastères et se sont imprégnés de l’âme d’un village de deux-mille habitants. La rencontre relève d’une magie presque mystique. Un échange, une alchimie, un cliché. La toile d’une finesse désarmante trône désormais dans l’atelier.
« Dans tous mes projets, j’essaye de m’investir à 100%, d’y mettre toutes mes tripes », ajoute-t-il. Comment sont sélectionnés les modèles ? Au feeling, à la rencontre. « J’ai besoin d’avoir chiné mon modèle, j’ai besoin de l’avoir trouvé et qu’il m’ait trouvé », résume-t-il.
Une fresque matérialisant Jacques Attali à dernièrement fait couler beaucoup d’encre à Avignon. Pour Swed oner, la politique s’aborde dans son sens étymologique. Il se plait à représenter les relations humaines et l’art du vivre ensemble « dans la cité ». « Mon combat est de rassembler, non pas de diviser », explique-t-il.
Et d’ajouter : « l’art est au-dessus de la politique, de la religion ou de la philosophie. Ça nous amène à cogiter, à confronter nos idées et à se poser des questions. Le tout en finesse et subtilité. » Il paraphrase alors volontiers une parole du rappeur Kool Shen : « il me suffirait de balancer cash ‘nique la police’ pour que les foules applaudissent. »
Exit le manichéisme. « Le monde n’est pas binaire, il n’y a pas le bon et le mauvais. Je travaille qu’avec du noir et du blanc, et je crée toutes les nuances de gris, comme celles qui existent chez l’être humain… On a tous notre part d’ombre et de lumière », philosophe-t-il.
Ruffin et les gilets jaunes
Le combat politisé, Swed Oner a pourtant failli tomber dedans. Souvenez-vous de sa fresque représentant un gilet jaune dans la commune de Dions. Un emballement médiatique retentissant à l’origine d’une avalanche de coupures presses nationales. Un sifflet arrivé très vite aux oreilles du député la France insoumise, François Ruffin. En pleine préparation de son documentaire sur le tour de France des ronds-points, l’activiste rencontre Swed Oner pour une potentielle collaboration. Les échanges n’aboutissent pas. « C’est son combat que je respecte entièrement, mais cela reste son combat », précise l’artiste. Aucun regret. « Je me serais perdu dans ces milieux ultra politisés. Je serais rentré dans cette étiquette alors que l’art n’est pas fait pour cloisonner mais pour rassembler », juge-t-il.
Où est Charly ?
Classe sociale, sexe, âge, couleur de peau, religion, aucun critère prédéfini. « Il est vrai que les gens que je rencontre sont dans la rue. Par définition, c’est l’endroit le plus populaire », explique-t-il. Il reconnait toutefois être intensément connecté avec les personnes âgées, dont les torpeurs nous touchent. C’est le cas de Charly, emblématique figure uzétienne à la retraite. « Il a un fort caractère, très besogneux, très pieux. Il m’accompagne, il me porte un peu chance aussi. Charly est très attachant, c’est un grand philosophe inspirant », décrit-il. Charly a son portrait sur le mur du fond, incontournable. Swed Oner rend hommage, confère une aura céleste à ces héros du quotidien.
Liberté et impératif financier : trouver l’équilibre
L’artiste travaille en totale indépendance. Le public s’intéresse à son univers, des « convaincus » achètent ses toiles, « c’est gratifiant ». Les périodes varient. Les toiles font le gros de son chiffre, c’était le cas des fresques sur mur il y a quelques temps. « Je pense que c’est le petit combat de chacun. Faire des choses pour soi car on a besoin d’argent pour vivre et faire ça aussi pour les autres. Si je peux créer une émotion à des passants dans la rue… C’est le gros point fort du street-art, décloisonner l’art et le rendre populaire », explique celui qui n’a jamais foulé le sol d’un musée étant petit.
Pour Swed oner, « la vie est une course de fond, pas un sprint. » Il tient à sa longévité, son indépendance de style et sa liberté. Le tout sans tomber dans le fourvoiement. Tout est aussi question d’ego. « Tu ne prétends pas être artiste si tu n’as pas un minimum d’ego. Ceci dit, je me remets tout le temps en question. J’ai déjà été submergé par ce sentiment, et c’est ultra malsain », reconnaît l’artiste.
Son rêve ? Peindre dans tous les pays du globe : « L’Afrique noire est sur mon carnet… », nous souffle-t-il.
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