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Le Mas des Agriculteurs : « On n’a jamais été en rupture de moutarde »

Article et photo : Linda Mansouri

Rencontre avec Jean-Paul Robert, directeur de ce poumon nîmois de la distribution éthique.

Imaginez quelques secondes un conseil d’administration où siègent 180 têtes. La règle d’or : uniquement des actionnaires gardois, producteurs, agriculteurs et artisans autour de la table. Voilà trois ans que plus de 400 apporteurs proposent le fruit de leur travail au Mas des agriculteurs à Nîmes. Un endroit atypique, au mode de gouvernance démocratique. L’ancien ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, avait d’ailleurs tenu à inaugurer ces halles particulières en juin 2019.

Un nouveau modèle de distribution alimentaire mis sur pied par la Chambre d’agriculture du Gard qui nul doute inspirera les autres Chambres de l’hexagone. Dans cet antre du frais, l’humain et la terre prennent le dessus sur toute logique capitaliste prédatrice. Le rapport de force redoutablement déséquilibré lors de la fixation du prix laisse place à la co-construction. Et cela fonctionne : 155.000 clients se sont rendus au 581 rue Michel Debré l’année dernière.

 « Ici on se fiche du nombre d’articles passés en caisse par minute », explique le directeur à la tête d’une équipe de 18 personnes. Plus de course effrénée dans les rayons, ni d’étiquettes Guatemala, Pérou ou Espagne. Sur 960m² de surface de vente, se côtoient les fruits et légumes, les vins, l’épicerie fine et la boucherie indépendante qui respecte un cahier des charges rigoureux.

La grande distribution, Jean-Paul Robert en a été un acteur décisionnaire pendant 20 ans, au gré des postes de directeur de magasin. « Il y a 35 ans, on était beaucoup plus proche des producteurs. Lorsque j’étais à Brest par exemple, un maraicher venait tous les matins pour fixer son prix », explique celui qui a fui le rapport aux actionnaires qui devenait « insupportable ».

Après avoir été consultant pour de petites entreprises du monde agricole, il prend en charge le projet du Mas confié par la Chambre d’agriculture. Un travail de longue haleine pour mettre au point la stratégie commerciale et la sélection des produits qui durera deux ans et mobilisera un groupe de travail. « On revenait à ce que je voulais faire quand j’étais jeune », se rappelle-t-il.

Capital détenu à 100% par les producteurs gardois

A la tête du Mas, une SAS. « Le capital ne peut pas être dilué au-delà des agriculteurs et des coopératives gardoises qui ont voulu s’investir. Je pense par exemple à la Coopérative des Oignons doux des Cévennes, c’est inscrit dans les statuts », explique le directeur. Le foncier et les murs appartiennent à la Chambre agriculture qui a obtenu des subventions de la Région et du Conseil départemental du Gard, complétées par un emprunt pour voire éclore ce projet.

En guise de fonctionnement, un système d’achat-revente qui garantit aux producteurs d’être payés rapidement, au moyen de la livraison, ou quelques jours après. Pas de volonté grasse de profit, plutôt une marge dégagée pour faire face aux besoins de fonctionnement de la boutique : loyer, salaires, énergie, etc. Nul besoin d’être actionnaire pour y proposer ses produits : « C’est le magasin des agriculteurs gardois ».

Dans la charte, il est toutefois stipulé que les ventes au Mas ne doivent pas représenter plus de 50% des ventes totales du producteur. « Ce n’est jamais bon d’avoir un seul client, ils continuent ainsi à vendre sur d’autres réseaux. Cela nous permet d’avoir plus d’apporteurs et de variétés au magasin », explique Jean-Paul Robert.

« La plus grande cave à vin du Gard au monde ». Crédit photo : Linda Mansouri

« On n’a jamais été en rupture de moutarde »

L’espace le plus important n’est autre que le maraicher avec plus de 800 tonnes de fruits et légumes vendus l’année dernière. Vient ensuite la cave, une belle vitrine gardoise mettant à l’honneur toutes les appellations. « On a la plus grande cave à vin du Gard au monde », s’amuse à dire le directeur. Parmi les succès notables : Costières de Nîmes, Duché d’Uzès, des vins des Cévennes et enfin des Côtes du Rhône « même si c’est moins naturel pour les clients gardois ».

Côté boucherie, les clients peuvent se procurer de la viande de qualité d’éleveurs gardois, bovins et ovins. Proposer de la viande 100% gardoise, un pari audacieux. « Au début on pensait qu’on n’y arriverait pas. Non seulement on a eu plus de ressources que prévues, mais les éleveurs se sont accordés avec le boucher, c’est un bon professionnel qui connait très bien les élevages », explique le directeur. Une collaboration qui a débuté avec les éleveurs de Cévennes et de Camargue.

Changement d’ambiance : épicerie fine. Des indétrônables tels que l’huile olive, terrine, confiture, sont les stars des rayons. Six apiculteurs, tous actionnaires, proposent également leur production gardoise. Quant à ‘Aigre doux’ de Sylvie Molard, dans les Cévennes, elle gratifie les clients de son vinaigre artisanal et de sa moutarde. « On n’a jamais été en rupture de moutarde, elle produit ses propres graines, elle ne va pas les chercher au Canada… », assène le directeur.

70% du bénéfice redistribué

« Nous n’avons pas les mêmes besoins de rentabilité qu’un magasin classique. Il faut payer nos charges, certes, mais nous sommes là pour rémunérer correctement les producteurs », explique le directeur. L’année dernière, 70% du bénéfice a été redistribué aux actionnaires, le reste était dédié à l’investissement et aux primes du personnel. 

« On s’aperçoit que sur la partie fruits et légumes, nous sommes très bien placés en prix, quelques fois moins chers que des produits d’Espagne », pointe-t-il. Ici, les producteurs signent une charte de qualité qui place l’environnement au cœur de la matrice. De plus en plus de producteurs conventionnels sont passer au HVE (Haute Valeur Environnementale, ndlr), pour migrer vers une agriculture raisonnée.

Le producteur fixe son prix

Le producteur fixe son prix mais reste ouvert aux conseils raisonnés. « On leur explique quelques fois que si on ajoute un pourcentage, le prix risque d’être trop élevé pour le consommateur. Quelques fois même, ils sont trop raisonnables et pourraient augmenter le prix. On sait à quel prix on va le vendre tout en restant compétitif. On peut donc l’acheter plus cher aux producteurs », explique Jean-Paul Robert. Pas de prix fixe, il dépend notamment de la saisonnalité et du cours du produit.

Six apiculteurs actionnaires proposent leur millésime. Crédit photo : Linda Mansouri

« On s’aligne également sur leur promotion, s’ils baissent le prix pour écouler leur production en fin de saison, on baisse aussi, on n’en profite pas pour garder la différence », tient-il à souligner. Si un produit important n’est pas disponible en grande quantité comme le foie gras, le Mas s’autorise, en accord avec les actionnaires, à s’approvisionner en Occitanie. 91% des produits restent toutefois gardois.

Le Mas nourrit les collégiens

Outre la vente au grand public, le Mas fournit quotidiennement 26 collèges nîmois. 100 tonnes de fruits et légumes ont été écoulées l’année dernière. Après appel d’offre, le Mas a également remporté une partie du marché du CHU de Nîmes. « J’ai pris en charge ce projet pour toutes les conséquences positives que cela entraine sur la production locale. C’est tellement intéressant, on envoie un message aux jeunes agriculteurs », explique le directeur qui évoque notamment le projet Les friches rebelles de l’association Un plus bio.

L’objectif ? Convertir des terres laissées à l’abandon pour en faire du bio. Le Mas a également été retenu en France en tant que circuit de distribution sur un projet européen visant à faciliter la mise en relation des petites exploitations avec le marché extérieur. « Les petits producteurs ne savent pas répondre aux appels d’offre locaux, c’est une usine à gaz. C’est un enjeu européen, comme quoi, nous partageons la même problématique avec nos voisins », conclut le passionné du vivant.

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